Fables musicales
Un premier exemple d’écritures croisées qui me vient à l’esprit est celui de l’opéra, traditionnel ou contemporain, dont la forme est parfaitement formatée. L’image et la parole se greffent au son et lui sont totalement inféodées. Un autre exemple est celui de la musique mixte. Mais, cette fois-ci, faut-il trouver un bon équilibre entre l’instrument et la bande magnétique, qui avancent dans le même temps mais divergent dans leur écritures propres, et de savoir donner à l’une le vide de l’autre.
La fable musicale est encore un troisième exemple, plus compliqué : l’assemblage de plusieurs temps, d’énergies et de matière différents. Une autre appellation, me direz-vous ! mais il me fallait bien en inventer une pour ce genre nouveau d’écritures croisées. Sa vie fonctionne comme celle d’un paysage ou encore de l’architecture intérieure d’une église dans laquelle la sculpture des chapiteaux, la transparence des vitraux et le sons des cloches ou de l’orgue se déploient différemment.
Aussi, pour cette forme nouvelle, il ne peut s’agir d’un produit mécanique vidéo-musical, de l’illustration décorative d’un genre par un autre. C’est toujours, pour moi, la musique qui dirige la fable musicale, tout en tenant compte de la réflexion née de l’utilisation des écritures qui la croisent. En superposant ces trois registres, on se rend compte du décalage des allures, des trames, des échos et des sens. C’est dire leur indépendance ou leur affinité au cours de leurs rencontres et qui ne peuvent intervenir qu’à certains moments de l’espace-temps du gestus musical. Ce croisement des jeux du visuel et de l’oreille engage l’imaginaire dans une nouvelle complexité, vers un nouveau geste de ma modernité.
J’ai entrepris ce nouveau chantier depuis les années 2005 et c’est ainsi que je continue mon travail de création et que je revisite celui du passé. Je ne m’estime toutefois pas poète ou dessinateur à part entière car on n’improvise pas un métier qui réclame toute une vie pour être vécue pleinement. En outre, ces textes et illustrations ne concernent, à part quelques exceptions préparant peut-être d’autres pièces, que mon œuvre musical . Et je répondais dans ce sens au cours d’un entretien récent (Portrait Polychrome n° 9) « …Ce sont des évolutions ou des métaphores qui m’aident à repousser les limites de mon imaginaire… ». Je suis donc un compositeur aboutissant simplement à cette autre diffusion de ses musiques sur haut-parleurs se doublant d’images et de poèmes projetés.
Mais en introduisant le poème sur l’écran, mon intention a été de lui donner une véritable mobilité, une énergie cinétique pour qu’il deviennent geste à l’instar du son diffusé ou de l’image portée à l’écran : à la fois une lecture et une danse des mots. Et ainsi la fable musicale ajoute t-elle un peu plus à l’élasticité de son théâtre.
Avec un texte récité et/ou musicalisé, figurant déjà dans la pièce, le poème projeté vient alors en surimpression (Berceuse pour un enfant de Palestine, Chansons de la main…) ou en distanciation du thème et de la forme (Le Cantique des Cantiques, Fragments gourmands, Chansons loufoques…) pour s’ouvrir, de la sorte, davantage à la théâtralité ou la songerie poétique. Il en prend même parfois le parti antirrhétique (Messe aux oiseaux, Ave Maria…), celui du non-sens ou de l’expérimental (Clin d’œil à Jean de La Fontaine, Chansons zoomorphes…).
Quant à la notion de fable, il en existe deux sens : l’un, comme matériau réaliste avant qu’il ne devienne vraiment musical, à l’image de la Fable grecque représentant la fiction mythologique connue à partir de laquelle s’est formé peu à peu le théâtre ; l’autre, à la fois comme structure du signifié et du signifiant de la fable musicale (musique sans ou avec texte ainsi que poèmes et dessins la mettant en perspective).
Jacques Lejeune, 2006