PARAGES

1973/1974 – 46′

(à Kevin Spencer)

I – 1 : Etude de matière, d’espace et de rythme : 13’50

II – 2: Le cycle d’lcare : 11’20

2.1 labyrinthe : 2’30

2.2 vol : 4’02

2.3 chute : 2’06

2.4 abysses : 2’38

III – 3 : Traces et réminiscences : 20’53

Dans quels «Parages» s’ouvre ce diaphragme sur l’infini ? Peut-être dans ces contrées limpides où les «négatifs» voilent en se superposant la perspective où bat le pouls de l’homme. Quand la matière s’éveille, l’homme n’est pas loin qui rêve de dompter ses secrets. Ainsi c’est un secret que de prédire la pulsation des espaces que Jacques Lejeune domine et où l’onde, le point, la ligne ne cessent d’écrire et de décrire face à la dilution cette persistance du danger de l’écriture elle-même.

Jacques Lejeune traverse souvent le tissu musical comme un paysage créant ainsi un déroulement des couleurs, des lieux et des évènements sonores qui lui est propre. Il affectionne le cycle, le cercle, l’éternel recommencement du mythe jamais vaincu. La matière sonore et la matière humaine du vécu se confrontent, s’unissent au-delà des processus musicaux. Je retrouve dans «Parages» une des constantes de l’oeuvre de Lejeune quand il déclenche le tumulte des éléments dont il domine la lame sourde qui est l’être de sa musique.

1. : Un déferlement de masses envahit l’espace, donnant naissance à des parcelles d’éclatement, à des implosions balayées dans un mouvement de flux et de reflux. Puis l’énergie se retire laissant ça et là quelques empreintes du rythme. Enfin cette exploration de la matière s’évase vers une idée de paysage dont la perspective formée de minces lignes de direction crée le relief. Quelques objets ponctuels cherchent leur position proche ou lointaine dans la géométrie déliée de l’espace changeant de plan comme l’électron change de couche. Des grattements électroniques, une granulation d’insectes crieurs mêlés à un tissu humain d’inquiétude figurent une jungle inconsciente et artificielle. La palpitation du rythme laisse place à des ondes pleines dont l’oscillation évolue parallèlement à un rythme mécanique. Des couches s’épaississant créent un rapport surface-profondeur et s’interpénètrent. Des trains s’emballent pour un voyage éclair, rapidement transfiguré en rythmes de tambour qui évoquent la danse humaine avant que les cloches, le cristal, l’eau, la voix féminine nous rappellent que l’auteur a choisi l’aboutissement transparent.

2.1 Par ses halètements mécaniques et humains , ses brisures, ses écarts, ses ruptures, l’angoisse nous saisit et nous porte d’une flèche inconsciente par son accélération lourde, oppressante vers l’issue que cristallisent les sonorités retrouvées du clavecin.

2.2 Un discours très linéaire, enguirlandé de volutes évoluera vers une perspective où sous et sur le langage s’amplifie son épaisseur jusqu’à l’illisibilité et l’éblouissement fatal.

2.3 Porté par l’air Icare n’est pas victime d’une chute brutale, il en connaît d’abord les paliers. Les percussions évoquent les courants descendants et ascendants et l’oreille visualise l’éloignement de la chute qui se dissout dans l’infini.

2.4 Dans cette descente au ralenti aux enfers liquides d’une douceur, d’un pointillisme délicat, d’une contexture multiforme, les visages interrogent. Icare est entraîné encore une fois dans un rapport surface-profondeur.

3. L’auditeur est projeté brutalement dans une matière qui s’amoncelle. Puis par une idée de variation-permanence les formes s’interpénètrent souvent dans des profondeurs différentes. Le lisible l’emporte sur l’illisible et vice versa. A cette donnée générale et fondamentale de l’oeuvre (amplification et dégradation des évènements sonores) s’ajoutent de multiples mécanismes internes qui articulent les différents changements de pression, de vitesse, de plan, de direction ou d’intensité du tracé musical créant ainsi des phénomènes de surcharges, d’empreintes, de traces et de réminiscences d’une matière en perpétuelle mouvance d’intentions.

Mais il faut surtout noter les phénomènes de transparence ambiguë. La rémanence, persistance dans le champ d’écoute, permet d’affirmer la volonté du paysage acoustique en même temps que des plans souples en révolution ne cessent dans leurs vagues oniriques de se recouvrir, de se dévorer les uns les autres comme s’ils interdisaient l’approche de la transparence. Des résurgences de deux ordres interviennent dans le cours de l’oeuvre : citations rappelant les pièces précédentes et impacts réalistes qui sont autant d’allusions au vécu de chacun. Il faudrait aussi parler de récurrence quand les objets semblent, en se réfléchissant sur un miroir contondant, s’amollir, se ralentir jusqu’à ne former que des traces troubles qui se raréfient et s’estompent retournant à l’invisible. (Alain Morin (1988)

Laisser un commentaire